Par  Matin Libre

Publié le 19/07/2019

 

Que faire pour les 750 millions d’adultes qui sont privés de compétences fondamentales ? Notre nouvelle étude tente de répondre à cette question.

Quiconque a déjà appris à lire à un enfant sait qu’il s’agit d’un processus complexe, riche en gratifications et semé d’embûches. De la reconnaissance des lettres au déchiffrage de mots simples, nous avons connu la satisfaction de voir nos enfants progresser, passer du décodage à la compréhension et gagner en aisance. Mais apprendre à lire n’est pas qu’une fin en soi : il faut savoir lire pour pouvoir apprendre.

Or, comme nous le rappelle aujourd’hui la Journée internationale de l’alphabétisation, tous les enfants ne bénéficient pas de ce socle de compétences fondamental. À l’échelle de la planète, plus de la moitié des enfants de 10 ans ne sont pas capables de lire et comprendre une histoire simple. Parmi les enfants passés par les bancs de l’école, beaucoup ne conservent pas ces compétences à l’âge adulte. Au bout du compte, il y a actuellement 750 millions d’adultes dans le monde qui ont des difficultés à lire et/ou écrire.

On ne soulignera jamais assez l’importance de l’alphabétisation. La capacité de lire et d’écrire est un enjeu vital : c’est une condition essentielle pour permettre à un individu d’atteindre pleinement son potentiel et la clé qui lui ouvrira les portes d’une plus grande autonomie et d’une participation accrue à la vie économique, sociale et politique. Parce qu’elle favorise l’accès à des informations sur l’importance d’investir dans la nutrition et l’éducation des enfants, l’alphabétisation des adultes a aussi des effets d’entraînement positifs d’une génération à l’autre. Elle peut en outre renforcer la responsabilisation et permettre ainsi d’améliorer les politiques publiques, tout en amplifiant la cohésion sociale et l’inclusion.

Donner à chaque enfant la possibilité de maîtriser la lecture et l’écriture est l’une des grandes priorités de la Banque mondiale. Ce thème sera au cœur de ses prochaines Assemblées annuelles ainsi que de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui consacreront plusieurs événements à la « pauvreté des apprentissages ».

Mais que faire pour les 750 millions d’adultes qui sont privés de compétences fondamentales ? Pour répondre à cette question, nous avons procédé à un examen des travaux sur l’alphabétisation des adultes et à une analyse des programmes entrepris à travers le monde. Au terme de deux années de recherche, nos conclusions suggèrent qu’il est largement possible d’accroître les investissements dans un domaine qui est intrinsèquement lié à la cible 4.6 des Objectifs de développement durable.

Elles mettent en lumière deux tendances. Premièrement, on observe que non seulement les investissements dans les programmes d’alphabétisation sont actuellement très limités, mais qu’en outre on manque d’évaluations rigoureuses sur ces dispositifs, surtout dans les pays en développement où les taux d’analphabétisme sont les plus élevés. Deuxièmement, bien que l’on dispose de données solides sur la manière dont on peut optimiser l’apprentissage chez les adultes, ces principes ne sont généralement pas appliqués dans la conception et la mise en œuvre des programmes existants. Sur les 20 dispositifs que nous avons passés en revue, neuf seulement ont atteint leurs objectifs déclarés et un uniquement — la méthode d’enseignement NEUROALFA au Mexique est parvenu à faire passer ses participants de l’analphabétisme à la compréhension de la lecture.

Les principes d’un plan pour l’apprentissage chez les adultes efficace

Trois éléments ressortent de notre étude :

•           L’importance de la progression sur le continuum de l’alphabétisation. Alors que l’alphabétisme est souvent envisagée comme un indicateur binaire (on sait lire et écrire ou pas), il s’agit en réalité d’un continuum qui va de la compréhension basique de la relation entre langue orale et langue écrite à la lecture fluide et la maîtrise de l’écriture.

Un apprenant ira d’autant plus loin sur ce continuum qu’il dispose de bases solides. Ses progrès sont en outre affaire d’efforts et de pratique régulière. Chez les enfants, l’enseignement de la lecture et de l’écriture occupe environ 2 000 heures  (de la maternelle à la fin de l’enseignement secondaire). On estime que les adultes ont besoin de 300 à 400 heures d’instruction pour atteindre le niveau de lecture correspondant à celui d’un élève en 2e ou 3e année de scolarité. Un bon programme d’alphabétisation des adultes s’attache à séquencer les contenus, les méthodes d’enseignement, le soutien pédagogique et les supports (y compris numériques) tout au long du continuum d’alphabétisation, à promouvoir l’effort en procurant aux apprenants des retours fréquents sur leur travail ou d’autres formes d’incitation, et à laisser suffisamment de place à la pratique et l’entraînement.

 •          Des programmes adaptés au profil cognitif et au mode de vie des adultes. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture est difficile à tous les stades de la vie, mais il peut se révéler particulièrement ardu chez les adultes, car, avec l’âge, le cerveau devient moins malléable et perd en capacité d’acquisition de compétences complexes. Toutefois, cette perte de malléabilité est compensée par : 1. un contrôle accru de l’attention et des processus cognitifs (ce que l’on appelle les « fonctions exécutives »), qui favorise la concentration sur les exercices de lecture ; 2. une plus grande aptitude à « penser sur ses propres pensées » (ou « métacognition »), qui permet aux adultes de mieux comprendre le processus d’apprentissage ; 3. une meilleure capacité à établir des connexions explicites (« mémoire explicite »), ce qui facilite la mémorisation des règles d’orthographe et de prononciation ; et 4. un vocabulaire oral plus étendu, qui aide à décoder les mots et à comprendre les textes. Ce sont autant d’atouts qu’un programme d’alphabétisation des adultes se doit d’exploiter avec des règles explicites et en s’appuyant sur les connaissances déjà acquises.

La situation des adultes se distingue par ailleurs par un emploi du temps chargé, ce qui se traduit par un coût de renonciation élevé en termes de temps et d’attention. Pour réussir, un programme doit être stimulant, axé sur le social et pertinent ; il doit tirer parti de la motivation intrinsèque et extrinsèque des adultes en proposant des contenus et des exemples qui sont adaptés au contexte et qui, parallèlement aux feedbacks et autres mesures incitatives, contribuent à renforcer leur adhésion et à réduire les abandons (soit deux problèmes endémiques dans l’ensemble des dispositifs d’alphabétisation).

•           Des environnements d’apprentissage de qualité. La pédagogie et la conception des interventions sont deux autres composantes essentielles de ces programmes, qui doivent veiller à s’adapter aux modes d’apprentissage des adultes. Cela passe par une formation spécifique des enseignants, la promotion d’interactions sociales entre pairs pour renforcer la motivation des apprenants et des mesures d’incitation pour les encourager à une pratique régulière en dehors des cours. La technologie peut faciliter les retours des enseignants sur les performances des élèves et favoriser l’apprentissage adaptatif, accroître la motivation et optimiser les efforts , et appuyer le travail hors la classe.

La plupart des programmes d’alphabétisation qui ont fait leurs preuves ont incorporé ces principes. En revanche, le nombre limité d’études empiriques rigoureuses ne fournit guère d’éléments probants sur des questions clés comme, entre autres, la combinaison optimale pour maximiser les apprentissages tout en minimisant les taux d’abandon ou le rôle des incitations financières.

Ces problématiques exigent des travaux de recherche plus rigoureux. Il ressort cependant de notre étude qu’il est possible d’améliorer les résultats des programmes d’alphabétisation à travers le monde et de tirer le meilleur de ces progrès sur le plan social et économique. En outre, ne pas investir dans la promotion de l’alphabétisation des jeunes et des adultes a un coût qui peut s’avérer considérable, en particulier dans les pays en phase de transition démographique qui doivent optimiser la productivité de leur main-d’œuvre.

Conclusion : il faut à la fois investir dans des programmes d’apprentissage pour les adultes bien conçus et entreprendre des évaluations d’impact rigoureuses. C’est ainsi que l’on parviendra à véritablement célébrer la Journée internationale de l’alphabétisation : ce jour où tous les adultes et les sociétés dans lesquels ils vivent pourront jouir des bienfaits que procure la maîtrise de la lecture.

SOURCE : worldbank.org

 

Pierric ESCORIZA FORMATION

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